El Lissitzky (Smolensk 1890 - Moscou 1941), illustration pour Shifs karta [Billet de bateau]
in Shest povestey o lekgkih kontsakh [Six contes sur des fins faciles] d’Ilya Ehrenbourg, 1922
© Israel Museum
L'exposition retrace à la naissance d'une avant-garde qui s'incarna essentiellement dans le livre yiddish. Elle restitue les cheminements artistiques des principaux acteurs de ce mouvement et annonce les trajectoires individuelles qui s'amorcèrent à partir ce retour aux sources, pour certains vers le suprématisme ou le constructivisme, pour d'autres vers le réalisme socialiste. Elle donne à voir l'éblouissante fulgurance d'une culture yiddish avant son tragique anéantissement.
« Nous étions une bande d’écoliers du heder, déjà détachée de l’étude talmudique depuis toute une génération, mais nourrie au ferment de l’analyse. Nous venions tout juste de prendre en main le crayon et le pinceau, nous nous sommes aussitôt mis à “anatomiser”, non seulement la nature autour de nous, mais aussi nous-mêmes. Qui étions-nous ? Quelle place tenions-nous dans le concert des nations ? Quelle était notre culture ? Et quel devait être notre art ? Tout cela s’est joué dans quelques bourgades de Lituanie, de Biélorussie, d’Ukraine... »
El Lissitzky, 1923
Dans ce texte intitulé Mémoires de la synagogue de Mogilev, Lissitzky revient sur cette période très brève, mais intense et fondatrice, au cours de laquelle de jeunes artistes juifs – toute une génération – se lancèrent avec ardeur dans une entreprise où soufflait l’esprit de la révolution : élaborer une expression artistique spécifiquement juive, qui puisse concilier la tradition à laquelle ils retournaient avec la modernité dans laquelle ils s’engageaient.
Des expéditions ethnographiques sillonnaient alors les bourgades juives d’Ukraine et effectuaient des collectes d’objets, des relevés de peintures de synagogues et de pierres tombales, qui révélèrent aux artistes la richesse insoupçonnée de leur patrimoine. De cette révélation, en Russie et en Pologne, naît une avant-garde artistique intimement liée à une littérature et un théâtre yiddish en plein essor.
« Nous avons tout à coup découvert la magie de la yiddishkeit, nous avons été entraînés par le grand mouvement d’émancipation spirituelle, par la résurrection de notre conscience nationale, par le combat des masses ouvrières juives pour la justice sociale. Nous, artistes juifs semi-assimilés, sommes retournés vers le peuple. C’était, pour ainsi dire, une contre-émancipation... »
Henryk Berlewi, 1955