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Moïse devant le buisson ardent
Tapisserie de la Manufacture d’Aubusson d’après Sébastien Bourdon (1616-1671)
Laine et soie, vers 1657-1663
Collection particulière

Cette tapisserie a été tissée d’après une œuvre du peintre protestant Sébastien Bourdon. Elle appartenait à un ensemble de tableaux peints pour l’hôtel particulier montpelliérain de Pierre d’Autheville, baron de Vauvert. Ce gentilhomme protestant est connu pour l’aide apportée à ses coreligionnaires en butte aux tracasseries de l’administration royale.

L’artiste y a représenté Moïse, tête baissée, se déchaussant pour écouter la parole divine figurée dans le ciel par יהוה, les quatre lettres hébraïques du nom divin. La tradition protestante, qui proscrit la figuration de Dieu, est parfaitement respectée dans la tapisserie, bien que le couple d’anges qui surplombe le tétragramme ressortisse plutôt à l’iconographie de la Contre-Réforme.

Juifs et protestants. Parcours croisés : 1517-2017

tous les jours, à partir du Mardi 4 juillet 2017 - 10:00, jusqu'au Samedi 30 septembre 2017 - 23:59

Au Lieu de mémoire du Chambon-sur-Lignon

Juifs et protestants : deux minorités françaises, l’une présente de très longue date, l’autre depuis le XVIe siècle. Alors qu’un peu partout en Europe on s’apprête à commémorer le 500e anniversaire de la Réforme, l’exposition montre les relations qu’elles ont entretenues.

Introduction

Le plateau du Chambon-sur-Lignon est un des lieux emblématiques d’un destin partagé au cours des années 1940 par les juifs, en quête d’assistance et de refuge, et par des populations protestantes, pasteurs en tête, qui les leur ont accordés sur une grande échelle.

Une telle générosité est une forme d’énigme qu’une plongée dans l’histoire permet de comprendre. En France, juifs et protestants constituent deux minorités infinitésimales (environ 2 % de la population, à elles deux, jusqu’au milieu du XXe) qui ont en commun un passé séculaire de persécutions et d’exils, avec un point de rencontre célèbre, les Provinces-Unies où huguenots et juifs voisinent, à la fin du XVIIe siècle, dans une liberté et une fécondité culturelle exceptionnelles.

Ceux qui sont restés ou venus en France ont été confrontés à une société façonnés par le catholicisme ; ils y ont partagé un destin d’exclus. Mais à partir de la Révolution, ils sont apporté en commun une exemplaire contribution à la construction de l’État moderne, à l’instauration de l’école publique et à l’émergence d’une société laïque.

Au moment de l’affaire Dreyfus puis de l’Occupation, les protestants sont venus au secours des juifs en se souvenant de leur destin propre. A partir d’une quarantaine d’œuvres et de documents de la Société du Protestantisme à Ferrières et du musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris, l’exposition évoque ce bel exemple de destins croisés entre minorités marquées par la tragédie et la fidélité.

I – Les juifs en France au Moyen Âge

Attestée dès le Ier siècle avant notre ère, la présence juive se répand progressivement dans la Gaule romaine. Au VIIe siècle, des stèles funéraires en témoignent à Narbonne et à Auch. Mais il faut attendre le XIe siècle pour voir des communautés se développer sur tout le territoire de la France actuelle. D’innombrables rues « aux Juifs », quelques stèles funéraires hébraïques et une importante littérature rabbinique produite dans le sillage du commentaire du Talmud par le rabbin troyen Shlomo ben Itzhak ha-Tsarfati – Salomon fils d’Isaac le Français –, dit Rachi (vers 1040-1105), sont les seuls vestiges de cette présence millénaire.

Ces communautés disparaissent brutalement avec les expulsions ordonnées par Philippe-Auguste en 1182, Philippe-le-Bel en 1306 et Charles VI en 1394. En Provence, l’expulsion sera effective en 1501, après le rattachement du comté au domaine royal. Après cette date, seuls subsistent des juifs en Avignon et dans le Comtat Venaissin, sous la juridiction du Saint-Siège. Au début du XVIe siècle, lors de la Réforme, le judaïsme français n’est plus qu’un souvenir.

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Stèle funéraire de ? (fils de) Rabbi Joseph
Bourges, 1286 ou 1316, pierre calcaire
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Don d’Isabelle et Olivier Audebert en 2016

והנדיב ר׳ יוסף׳זא
מצבת קבורת
בן ר׳ שלמה נפטר
לגן עדן בפרשת כי תצא בששה
לחדש אלול שנת חמשת
אלפים וארבעים וששה
לבריאת עולם

« Ceci est la stèle de sépulture…
Du… et bienfaiteur Maître Joseph
Fils de Maître Salomon, parti

[au jardin d’Éden en la péricope] Ki ] Tetsé le six
du mois d’Eloul l’an cinq
[Mille] quarante six
De la création du monde »

Découverte fortuitement à Bourges dans les années 1980 lors de la démolition d’un moulin du XVe siècle, cette stèle presque intégralement conservée est un rare vestige des nombreux cimetières juifs que comptait la France avant les expulsions médiévales. La référence à la date de 5046 du calendrier hébraïque dans l’épitaphe permet de dater le décès au 27 août 1316.

Accaparés par la Couronne lors des expulsions, les cimetières juifs ont vu leurs stèles vendues à l’encan comme pierres de construction. Aujourd’hui, les archéologues y retrouvent parfois des restes humains, mais les stèles qui en marquaient l’emplacement ont presque toujours disparu. Gravées en caractères hébraïques, elles sont le reflet d’un spectaculaire renouveau de l’hébreu au Moyen Âge en parallèle à une intense activité théologique et juridique, qui suscite la production de manuscrits circulant dans toute l’Europe.


II – De la Réforme à la Révocation

Les réformateurs ont-ils changé le regard du christianisme sur les juifs, ou sont-ils restés fidèles à l’antijudaïsme chrétien qui voit dans les juifs le peuple déicide, dont le « crime » est châtié par l’opprobre et la persécution ?

Martin Luther (1483-1546), dans ses premiers écrits, a tenu un autre langage aux juifs ; c’est qu’il en attendait la conversion collective, annonciatrice du retour du Christ. Mais sa déception l’a conduit à multiplier, dans la seconde partie de sa vie, des pamphlets haineux contre les juifs. Dès lors, le luthéranisme n’est pas étranger à l’antisémitisme moderne qui s’est épanoui dans l’espace germanique au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle.

Les autres réformateurs ne sont guère plus favorables aux juifs, à l’exception d’Andreas Osiander (1498-1552) et surtout de Jean Calvin (1509-1564), dont L’Institution de la religion chrétienne (1535) affirme que Dieu reste fidèle à l’alliance passée avec son peuple et que la prédestination concerne des juifs autant que des chrétiens.

Plus largement, la Réforme a suscité un grand effort de traduction de la Bible entraînant un renouveau de l’étude de l’hébreu en Occident et un dialogue entre rabbins et théologiens chrétiens.

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Le Moïse de Michel-Ange
Carte postale ancienne
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Inspiré par la traduction latine de la Bible par saint Jérôme, Michel-Ange (1465-1564) sculpte entre 1513 et 1515 un Moïse « cornu » pour le mausolée du pape Jules II dans la basilique San Pietro in Vincoli (Saint-Pierre-aux-liens) à Rome.


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Robert Nanteuil et Gérard Edelinck, graveurs
Moïse tenant les dix commandements, 1699
d’après Philippe de Champaigne (1602-1674)
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme
Don d’Annie et Henri-Jack Henrion

Le Moïse tenant les tables de la Loi, peint par Philippe de Champaigne vers 1648, dénote une lecture hébraïsante de l’Ancien Testament, qui se développe dans les milieux humanistes à la Renaissance, en particulier parmi les protestants puis parmi les jansénistes dont le peintre est proche. À la différence de la traduction latine de saint Jérôme, qui rend « quaran » en hébreu par « cornu » pour définir l’aspect de Moïse redescendant du Sinaï avec le Décalogue (Exode 34.29), les traductions des hébraïsants chrétiens – et notamment la Bible de Port-Royal d’Isaac Lemaistre de Sacy –, restituent le sens de « rayonnant », que le graveur illustre sans ambiguïté sur la tête du prophète-législateur. Avec la Contre-Réforme, ce sens deviendra la norme. En outre, le texte du Décalogue y débute par la prière « Écoute Israël » qui rappelle l’intérêt porté au judaïsme par les protestants et les jansénistes.


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Moïse devant le buisson ardent
Tapisserie de la Manufacture d’Aubusson d’après Sébastien Bourdon (1616-1671)
Laine et soie, vers 1657-1663
Collection particulière

Cette tapisserie a été tissée d’après une œuvre du peintre protestant Sébastien Bourdon. Elle appartenait à un ensemble de tableaux peints pour l’hôtel particulier montpelliérain de Pierre d’Autheville, baron de Vauvert. Ce gentilhomme protestant est connu pour l’aide apportée à ses coreligionnaires en butte aux tracasseries de l’administration royale.

L’artiste y a représenté Moïse, tête baissée, se déchaussant pour écouter la parole divine figurée dans le ciel par יהוה, les quatre lettres hébraïques du nom divin. La tradition protestante, qui proscrit la figuration de Dieu, est parfaitement respectée dans la tapisserie, bien que le couple d’anges qui surplombe le tétragramme ressortisse plutôt à l’iconographie de la Contre-Réforme.


III – Dans l’Europe des diasporas

Depuis la première destruction du Temple en 587 avant notre ère par l’armée babylonienne, des juifs vivent en diaspora (dispersion). Expulsés du royaume de France au Moyen Âge, d’Espagne en 1492 et du Portugal en 1496, certains se sont réinstallés sur la côte Aquitaine à partir du milieu du XVIe siècle, puis en Lorraine à partir de 1567 grâce à une lettre patente d’Henri II qui s’appuie sur les réseaux des juifs rhénans pour avitailler la citadelle de Metz récemment conquise.

En 1685, la révocation de l’édit de Nantes jette sur les routes d’Europe 130 000 à 180 000 réfugiés huguenots; ils donnent naissance à une autre diaspora (en germe dès le XVIe siècle avec ses guerres de religions et ses massacres).

Juifs et huguenots se croisent dans un certain nombre de grandes villes, et spécialement aux Pays-Bas, que le philosophe Pierre Bayle, exilé à Rotterdam, a qualifiés d’« arche sainte » du Refuge. Un architecte huguenot, Marot, y construit des synagogues sur les plans du temple parisien de Charenton, rasé en 1685. Un historien rouennais exilé à La Haye, Jacques Basnage de Beauval, y publie la première histoire moderne des juifs, où l’on devine sa sympathie pour leurs souffrances. L’histoire a rapproché deux minorités malheureuses mais fidèles.

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Légende

Hammishah Houmshei Torah (Pentateuque)
Menasseh Ben Israel (éditeur), Amsterdam,1630-1631
Planches de Romeyn de Hooghe (graveur) issues de l’Histoire du Vieux et Nouveau Testament de Jacques Basnage de Beauval, Amsterdam, 1704
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Ce Pentateuque – les cinq premiers livres de la Bible hébraïque – a été publié en hébreu à Amsterdam en 1630-1631 par Menasseh Ben Israel, un rabbin, érudit, diplomate et éditeur d’origine portugaise, né en 1604, fondateur de la première imprimerie hébraïque d’Amsterdam.

Trois générations plus tard, le propriétaire de l’ouvrage – probablement un juif amstellodamois –, y a inséré 74 planches du graveur néerlandais Romeyn de Hooghe (1645-1708) publiées en 1704 dans Histoire du Vieux et Nouveau Testament du pasteur Jacques Basnage de Beauval.

Ces scènes bibliques, produites en milieu protestant, sont appréciées par les élites juives qui se les approprient dans un « aller et retour » bibliophilique exceptionnel en Europe.

Le médaillon central représente l’épisode d’Exode 14:23 au cours duquel les soldats de Pharaon sont noyés dans la mer Rouge : « Les Egyptiens les poursuivirent ; et tous les chevaux de Pharaon, ses chars et ses cavaliers, entrèrent après eux au milieu de la mer. »

(traduction de Louis Segond)

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Jacques Basnage de Beauval (1653-1723)
Histoire des Juifs depuis Jésus-Christ jusqu’à présent
Tome premier, seconde partie, La Haye, 1716
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Le pasteur Jacques Basnage de Beauval est issu d’une famille de notables de Rouen (son frère Henri, avocat, est un intellectuel distingué, lui aussi parti en exil dans les Provinces-Unies, et rédacteur de l’Histoire des ouvrages des savans). Il gagne La Haye au moment de la révocation de l’édit de Nantes, et publie des ouvrages remarqués dont cette Histoire des Juifs… (1706, 2e édition 1716), dans laquelle il dénonce les violences faites aux juifs à travers les siècles et l’hypocrisie des récits qui en sont donnés par les historiens chrétiens. À l’évidence, le huguenot réagit ici depuis sa propre expérience de l’exil et de la souffrance.


IV – Le temps de l’Émancipation

Dans l’Ancien Régime, bien que l’édit d’expulsion de 1394 soit toujours valide, des juifs vivent aux marges du royaume, en Lorraine, sur la côte Aquitaine et en Alsace – rattachée à la France en 1648 par le traité de Westphalie –, mais aussi dans les grandes villes, avec un statut de parias. Reconnus par lettre patente en 1723, les juifs bordelais jouissent d’une liberté de culte que leur envient les protestants. Grâce à l’édit de Tolérance, signé par Louis XVI en 1787, ces derniers accèdent à « l’existence civile » et la Révolution leur accorde en 1789 une citoyenneté que les juifs attendront encore deux ans (27 septembre 1791).

En 1802, Napoléon crée les consistoires protestants et, en 1808, après la réunion d’une assemblée de rabbins qui admettent la primauté de la loi commune sur la loi juive (Grand Sanhédrin), les consistoires israélites.

À l’instar des protestants, les juifs, citoyens pour la première fois depuis l’Empire romain, vont s’intégrer pleinement à la société française où ils vont investir tous les secteurs de la vie économique, sociale, politique et culturelle.

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Loi relative aux juifs donnée à Paris le 13 novembre 1791
Impression sur papier vergé
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Votée par l’Assemblée constituante le 27 septembre 1791, l’Émancipation des juifs met un terme à des siècles de persécutions et de bannissements. Accordée plus deux ans après le vote de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la loi étend aux juifs de France, principalement présents en Loraine, en Alsace, sur la côte Aquitaine et dans le Comtat Venaissin, des droits de citoyenneté que la Révolution avait accordés aux protestants dès 1789.


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Christian Wilhem Dohm (1751-1820)
De la réforme politique des juifs
Jean Bernouilli (traducteur), Dessau, 1782
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Commandée par Cerf-Berr (1726-1793), syndic général des juifs d’Alsace, au philosophe juif des Lumières allemandes Moses Mendelssohn (1729-1786), ce dernier préféra confier l’ouvrage à Christian Wilhelm Dohm, un haut fonctionnaire protestant de la cour du Grand Électeur de Prusse. L’ouvrage, publié sous le titre Über die bürgerliche Verbesserung der Juden, immédiatement traduit en français, est une réponse aux campagnes de dénigrement des juifs d’Alsace dans la décennie précédant la Révolution.


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Napoléon le grand rétablit le culte des Israélites, le 30 Mai 1806
Gravure, Paris, 1806
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Par un décret impérial du 30 mai 1806, Napoléon réunit des notables juifs de tout l’Empire dans le but d’organiser le culte mosaïque.

Sur cette gravure, l’Empire relève de sa déchéance la Synagogue, au regard pétri de reconnaissance, qui n’a plus les yeux bandés comme dans l’iconographie médiévale. Costumes antiques et modernes se côtoient affirmant la continuité entre l’Israël antique et le judaïsme moderne.


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Édouard Moyse (1827-1908)
Grand Sanhédrin des Israélites de France (4 février 1807)
Émile Vernier lithographe, Paris, 1868
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Peintre juif lorrain attaché aux rites, Édouard Moyse a livré plusieurs versions du Grand Sanhédrin. Cette lithographie fut exécutée d’après un important tableau présenté au salon de 1868.

Il s’agit de la réunion de soixante-et-onze rabbins de l’Empire, organisée par Napoléon en 1807, visant à leur faire approuver, à travers la réponse à douze questions, la prééminence de la loi commune sur la loi juive. Les décisions doctrinales du Grand Sanhédrin en font un moment fondateur du judaïsme français. Paralellement, Napoléon crée les consistoires israélites, toujours en vigueur, sur le modèle des consistoires protestants.


V – Minorités modernes

Protestants et juifs ont reçu de la Révolution la liberté religieuse et l’égalité des droits. Cela explique leur attachement passionné à l’État moderne, et leur défiance à l’encontre de tout régime jugé clérical : Restauration, Second Empire des années 1860, ordre moral au milieu des années 1870.

Ils soutiennent le Premier Empire, la monarchie de Juillet, la Seconde et surtout la Troisième République, parce que ces régimes bâtissent un système religieux pluraliste (les « cultes reconnus » mis en place par Napoléon), modernisent l’État et la société sur les plans politique et économique, et enfin installent la laïcité dans l’école (1882) puis dans l’État (1905).

Seule la laïcité, estiment les deux minorités, peut les protéger dans une France dont la population est alors catholique à 98 % et dont l’Église catholique n’est favorable ni à la république ni au pluralisme. Protestants et juifs servent dès lors l’État laïque avec une véritable passion : ils lui donnent des ministres, des élus à tous les niveaux, des élites multiples, des philosophes, des pédagogues, des artistes. Unis dans un même projet politique, ils contractent parfois des alliances matrimoniales et un petit nombre de juifs se convertit au protestantisme.

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Pierre-Louis Pierson
M. Fould ministre d’État
Paris, entre 1852 et 1860
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Banquier et homme politique du Second Empire, ministre des Finances de 1852 à 1860, Achille Marcus Fould (1800-1867), juif messin converti au protestantisme en 1846, est représentatif du rapprochement des grandes familles de la bourgeoisie juive avec les dynasties industrielles protestantes au XIXe siècle. On en trouve un autre exemple avec les Eichtal et, en littérature, dans un curieux roman antiprotestant d’Alphonse Daudet, L’Évangéliste (1883), avec ses personnages protestants et juifs.


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Cosson
Funérailles de M. A. Fould
Burn Smeeton, graveur
Paris, L’Illustration, octobre 1867
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Les funérailles d’Achille Fould en 1867, furent célébrées en grande pompe au cimetière du Père Lachaise, après une cérémonie au temple de l’Oratoire du Louvre célébrée par le pasteur Rognon.


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Dornac, Paul François Arnold Cardon dit (1858-1941)
Ludovic Halévy dans son appartement, Paris, 1891 – 1903-1910, photographie
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Dramaturge prolixe, librettiste (notamment pour Jacques Offenbach et Georges Bizet) d’opérettes et d’opéras, et romancier français, Ludovic Halévy incarne parfaitement les rapprochements entre familles juives et protestantes au XIXe siècle. Héritier d’une famille emblématique de l’intégration des juifs français dans la nation, il a reçu une éducation catholique par sa mère. Il se marie en 1868 au temple de l’Oratoire du Louvre avec Louise Breguet, issue d’une famille calviniste suisse installée en France en 1762. Leurs enfants seront élevés dans le protestantisme.

Pierre Joxe, ministre de François Mitterrand et ancien président de la fondation pour le protestantisme, est son arrière-petit-fils.


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Moïse tenant les Tables, Livre de prières des Israélites de rite allemand
Ivoire gravée, impression sur papier, velours, soie, métal, tranche dorée
Paris, Librairie israélite, 1857
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Sur la plaque en ivoire de la reliure de ce livre de prières du milieu du XIXe siècle, l’image du « Moïse rayonnant » est traitée en bas-relief de façon plus spectaculaire encore que chez Champaigne.

Don de Mme Elie Meyer au musée d’Art juif




VI – L’affaire Dreyfus

Le ressentiment antisémite a grandi tout au long des années 1880 : Édouard Drumont publie son brulôt, La France juive, en 1886 et ne manque pas d’épingler la collusion présumée des juifs avec les protestants.

En 1894, l’état-major de l’armée, instruit d’une trahison de secret militaire, désigne pour coupable un innocent, le capitaine Alfred Dreyfus, qui est dégradé et envoyé au bagne de 1895 à 1899. Mais un mouvement d’opinion, d’abord timide, réclame la révision du procès : l’affaire Dreyfus débute.

Des protestants y jouent immédiatement un rôle remarqué : l’historien Gabriel Monod publie un article retentissant en novembre 1897 ; le vice-président du Sénat, Auguste Scheurer-Kestner, agit dans les milieux politiques. Bien des protestants ont la certitude que l’affaire Dreyfus est une nouvelle affaire Calas, cent trente ans après ; beaucoup voient en Emile Zola un nouveau Voltaire.

Un lien très fort se noue entre les deux minorités, non plus dans le chantier collectif de construction de la République laïque, mais au moment où les juifs retrouvent le malheur et où les protestants choisissent, une première fois, de leur venir en aide.


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Légende

Victor Lenepveu
« Portrait caricature de Francis de Pressensé »
Musée des Horreurs n° 9, Paris, 1899
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme
Don de Georges Aboucaya en souvenir de Colette Aboucaya-Spira

Cette caricature de Jacques Ludovic Trarieux (1840-1904) (sur un corps d’oie blanche, de profil, une patte en l’air, les ailes écartées prête à prendre son envol) comporte en titre la mention « Il n’est pas protestant », référence implicite à la forte présence protestante dans le camp dreyfusard.

Avocat et homme politique républicain libéral, Trarieux a été le fondateur de la ligue des droits de l’Homme (1898) et son premier président (1898-1903). Il est l’un des instigateurs de la révision du procès Dreyfus. Il a épousé Elsa Camille Faure, d’une famille de la grande bourgeoisie protestante bordelaise (à laquelle appartient également l’historien de l’art Élie Faure).

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Victor Lenepveu
« Portrait caricature de Ludovic Trarieux »
Musée des Horreurs n° 18, Paris, 1900
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme
Don de Georges Aboucaya en souvenir de Colette Aboucaya-Spira

Cette caricature de Francis Dehaut de Pressensé (1853-1914) (longs favoris, pince nez, corps de dindon, jabot rouge, plumes bleutées, faisant la roue, debout sur une planche pourrie et un journal plié : L’Ordure) appartient au « Musée des horreurs », une série de 51 affiches virulentes et dégradantes, attaquant les hommes politiques, les écrivains et les journalistes dreyfusards ; elles parurent chaque semaine à Paris à partir de l’automne 1899.

Fils du pasteur Edmond de Pressensé, entré en diplomatie en 1879 comme secrétaire d’ambassade à Constantinople puis à Washington, Francis de Pressensé se consacre au journalisme, entre à la Revue politique et parlementaire et au Temps, collabore à L’Aurore (1897). Il prend activement parti pour Alfred Dreyfus et succède en 1904 à Ludovic Trarieux comme président de la Ligue des Droits de l’Homme. Aux yeux des antidreyfusards, il incarne le « complot judéo-protestant ».




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Elie Aristide Astruc (1831-1905)
Poésies rituéliques des juifs portugais, Paris, 1865
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Élie Aristide Astruc, d’une famille de juifs bordelais d’origine ibérique, a été grand rabbin de Belgique avant de regagner la France au moment de la mise en place de la République laïque. En 1860, il est l’un des fondateurs de l’Alliance israélite universelle, et l’auteur d’une Histoire abrégée des juifs et de leurs croyances (1869), dont les positions libérales, voire rationalistes, ont déclenché un débat à l’intérieur du judaïsme. Il mène campagne, en 1879, aux côtés de Maurice Vernes, alors maître de conférences à la faculté de théologie protestante de Paris, pour l’introduction de l’histoire des religions dans l’enseignement public.



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Lettre de soutien de Camille Rabaud, président honoraire du consistoire protestant de Castres, à Lucie Dreyfus, 10 septembre 1899
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme
Don de la famille du capitaine Dreyfus

Le pasteur tarnais Camille Rabaud (1827-1921), qui a desservi les Églises réformées de Mazamet puis de Castres, a été un important historien du protestantisme régional, publiant notamment une histoire de l’affaire Sirven (Sirven, étude historique sur l’avènement de la tolérance, 1858), contemporaine de l’affaire Calas. Il réagit ici d’une manière typiquement huguenote, en faisant les parallèles entre ces affaires et l’affaire Dreyfus, entre minorités protestante et juive.


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At Rennes (À Rennes)
Vincent Brooks, Day & Son, Ltd., Londres, 1899
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Cette lithographie anglaise du procès de Rennes – qui vit la confirmation de la condamnation d’Alfred Dreyfus suivie d’une grâce présidentielle considérées comme un modèle d’iniquité – représente un certain nombre des protagonistes de l’Affaire. Elle met en évidence la solitude d’Alfred Dreyfus, littéralement cerné par les dignitaires de l’armée française lors du procès de Rennes ; les généraux appartenaient alors massivement à une France catholique antidreyfusarde, et étaient, pour beaucoup, passés par les collèges de jésuites que la République allait condamner à l'exil en 1901.


VII – Les années 1940

Comme lors de l’affaire Dreyfus, les juifs sont seul visés au cours des années 1940 et, là encore, les protestants vont se trouver à leurs côtés. Même si certains, à l’origine, se montrent favorables au régime de Vichy, la plupart se défient rapidement de ses aspects cléricaux, collaborationnistes et antisémites. Les autorités, de leur côté, suspectent leur anglophilie et leur républicanisme.

Le premier et, surtout, le second Statut des juifs (juin 1941) suscitent des réactions de la part des protestants. Depuis l’automne 1940, des équipières d’une jeune association protestante, le Comité inter-mouvements auprès des évacués (Cimade), sont à l’œuvre au camp de Gurs pour aider les internés juifs. La Cimade intervient peu à peu dans l’ensemble des camps de Vichy dont elle fait sortir légalement un certain nombre d’enfants et d’adultes. Nombre d’entre eux sont dirigés vers les maisons d’enfants du Chambon-sur-Lignon.

Lorsque les rafles du mois d’août 1942 frappent les camps d’internement, puis l’ensemble de la zone non occupée, juifs et protestants choisissent la clandestinité. Les premiers, guidés par des réseaux juifs, protestants ou mixtes, affluent dans un certain nombre de cités et de terres de refuge à forte population protestante : Le Chambon et l’ensemble du plateau, Dieulefit et la Drôme, les Cévennes, le Poitou…

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Léopold Gottlieb (1883-1934)
Personnages assis à table, XXe siècle
Gouache, pastel et crayon sur papier
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme
Don de Florence Haeringer

Léopold Gottlieb, figure méconnue de l’École de Paris, fait ses études à Cracovie et à Munich puis s’installe à Paris où il participe à la vie artistique de Montparnasse. Il enseigne en Palestine en 1906. Pendant la Première Guerre mondiale, il est en Pologne. Il revient en France et meurt à Paris en 1934.

Cette œuvre fut probablement confiée pendant la guerre par un membre de la famille Gottlieb à Roland de Pury (1907-1979), pasteur du temple de la rue Lanterne à Lyon, membre du réseau Combat activement engagé dans le sauvetage des juifs pendant l’Occupation. Elle se trouvait depuis 1941 dans une famille protestante qui a jugé qu’elle devait « retourner » au musée d’art et d’histoire du Judaïsme.


VIII – Amitiés judéo-chrétiennes

Durant les années 1940, Jules Isaac (1877-1963), coauteur des célèbres manuels Malet et Isaac, se réfugie à Hugons, sur la commune de Mars. Frappé par la responsabilité des Églises chrétiennes dans l’antisémitisme, il commence à y rédiger Jésus et Israël, un ouvrage fondateur, qu’il publie en 1948 chez Albin Michel, grâce au directeur littéraire de la maison, le protestant André Sabatier, qui s’est personnellement engagé en faveur du livre.

À la même époque, un autre juif réfugié sur le plateau pendant l’Occupation, Léon Poliakov (1910-1997), entreprend une monumentale Histoire de l’antisémitisme dont la publication débute en 1955.

André Chouraqui, le futur traducteur de la Bible, est également présent.

En 1948, Jules Isaac fonde – avec l’homme de lettres Edmond Fleg, le rabbin Jacob Kaplan, l’historien Henri-Irénée Marrou et quelques autres – les Amitiés judéo-chrétiennes de France. Les protestants sont alors relativement nombreux à animer la jeune association : notamment les pasteurs Jacques Martin et Henri Manen (deux « Justes parmi les nations »), ou encore le théologien et historien Fadiey Lovsky, l’autre spécialiste en France des racines chrétiennes de l’antisémitisme et directeur des Cahiers d’études juives, publiés par Foi et Vie, la principale revue protestante française.

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Légende

Jules Isaac (1877-1963)
Jésus et Israël
Paris, Albin Michel, 1948
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Jules Isaac – réfugié un temps à Hugons dans la commune de Mars, sur le plateau du Chambon – commença à y rédiger Jésus et Israël, sur les liens entre la tradition chrétienne et l’antisémitisme. L’ouvrage parut en 1948, après qu’Isaac eut trouvé l’appui constant de la Revue du christianisme social et de Foi et Vie. Le pasteur Charles Westphal (futur « Juste parmi les nations ») ayant appris que la maison Hachette – éditeur des célèbres manuels Malet et Isaac – refusait de publier le livre, intervint auprès d’André Sabatier, un fils de pasteur, directeur littéraire chez Albin Michel, qui en assura la publication.


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Légende

Jules Isaac (1877-1963)
L’Enseignement du mépris : vérité historique et mythes théologiques
Paris, Fasquelle, 1962
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Jules Isaac poursuit ici le travail d’élucidation des sources chrétiennes de l’antisémitisme, entrepris en 1948 dans Jésus et Israël.


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Légende

Léon Poliakov (1910-1997)
Histoire de l’antisémitisme : du Christ aux juifs de Cour
Paris, Calmann-Lévy, 1955
Paris, musée d’art et d’histoire du Judaïsme

Léon Poliakov, résistant, un temps présent sur le plateau du Chambon, cofondateur en 1943 du Centre de documentation juive contemporaine, se fait au lendemain de la guerre l’historien de l’antisémitisme : il publie notamment Le Bréviaire de la haine. Le IIIe Reich et les juifs (1951), avant d’entamer en 1955 une Histoire de l’antisémitisme qui allait compter cinq volumes.


Commissariat

Patrick Cabanel, historien, EPHE

Paul Salmona, directeur du mahJ

Coordination

Aziza Gril-Mariotte

Prêteurs

Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, Paris

Société de l’histoire du protestantisme français, Paris

Musée du Protestantisme, Ferrières

Association des Amis de Jules Isaac, Aix-en-Provence

Église protestante unie du Mazet-St-Voy

Scénographie

Les Charrons – Pierre-Yves Guillot et Charlotte Soubeyrand

Remerciements

La conception de cette exposition a bénéficié de l’apport des communications scientifiques au colloque « Juifs et protestants », organisé par le musée d’art et d’histoire du Judaïsme et l’Institut historique allemand à Paris, les 15, 16 et 17 mars 2017, avec le soutien de l’académie Hillel, sous l’égide de la fondation du judaïsme français.

L’exposition a reçu le soutien de la direction régionale des Affaires culturelles d’Auvergne-Rhône-Alpes, du ministère de la Culture, de la région Auvergne- Rhône-Alpes, du département de la Haute-Loire, de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, de la commune du Chambon-sur-Lignon et de l’Association pour la mémoire des enfants cachés et des Justes.

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Emplacement

Hors les murs

Lieu de Mémoire
23 Route du Mazet
43400 Le Chambon-sur-Lignon

Lieu, réservation et tarifs

Tous les jours, sauf le lundi
de 10h à 12h30 et de 14h à 18h

Tarifs : 5 € - 3 €

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