Coups de cœur librairie
Ce mois-ci, l'équipe du musée vous recommande :
Littérature
Lettres dans la forêt
Hélène Cixous et Cécile Wajsbrot, Extrême contemporain, 2022, 150 pages, 14€
D’avril 2020 à octobre 2021, Hélène Cixous et Cécile Wajsbrot saisissent ce temps suspendu imposé par le confinement pour s’engager dans un échange épistolaire intime et intellectuel.
On retrouve avec bonheur les thèmes chers à nos deux auteures : les langues, l’histoire, l’exil, les voix, les noms… Puis le lecteur, complice, est invité dans leurs lieux : Arcachon, Osnabrück, Oran, Paris, Berlin, Brême…
A la suite d’Une Autobiographie allemande publiée en 2016 - dialogue qui mettait à jour la part de l’Allemagne présente en chacune d’elles et dans leurs œuvres-, Lettres dans la forêt est un livre sur la littérature, sa puissance et ses silences. Sitôt cet opuscule refermé, on est entraîné vers d’autres textes, ceux de Adler, Kafka, Hess, Lagerlöf, Montaigne, Stendhal …
Un voyage au cœur du monde, celui de l’écriture, des errances, des silences, et de l’amitié
Sophie Andrieu, responsable de l’auditorium
Juifs sans argent
Michael Gold, Nada éditions, 2018, 347 pages, 20€
Lower East Side, Manhattan, 1900. Ce quartier que l’on pouvait atteindre à pied en descendant du bateau et du ferry, après le passage obligé à Ellis Island, était l’envers du rêve américain. Dans les taudis, les immigrés juifs s’entassaient alors et se tuaient à la tâche. Dans la rue, les gamins grandissaient entre prostituées, gangsters et vendeurs ambulants. Parmi eux, le jeune Mike fait ses premières expériences de la vie. Une lecture qui rappelle les premières scènes du film Il était une fois l’Amérique de Sergio Léone.
Michael Gold, qui se choisit ce pseudonyme provocateur, voulait en finir avec les clichés. Publié aux États-Unis en 1930, Juifs sans argent parut en français dès 1932 dans une traduction de Paul Vaillant-Couturier, dont la préface a été reprise dans la présente édition.
Pascale Samuel, conservatrice des collections d'art moderne et contemporain
Histoire
Adieu Varsovie ! Quand la Pologne chassait les rescapés de la Shoah
Janka Kaempfer Louis, Ampelos, 2021, 173 pages, 13€
Remarquable témoignage d’une fille de juifs polonais sur l’histoire de ses parents et de sa famille. A travers son récit, on prend connaissance de plusieurs pans de l’histoire des juifs en Pologne, notamment après 1945.
Après la Shoah, les juifs continuent à y être discriminés, des vagues d’antisémitisme entraînant leur fuite, dont celle de l’auteure et de ses parents, parents embrassant chacun une histoire particulière. La mère de l’auteure ayant entre autres participé à de nombreuses activités de résistance dans le ghetto de Varsovie, fait silence après la guerre sur tout ce qu’elle a traversé, et le père n’en racontera pas plus. Une fois séparés, ils partiront chacun dans un pays différent et Janka Kaempfer Louis dans un troisième. C’est elle qui témoignera pour eux, par l’écriture.
Le propos, intime, est aussi transversal, entre récit familial et récit collectif. Beaucoup de photos de la famille et de la Pologne à l’époque illustrent le texte, apportant une dimension supplémentaire à l’ouvrage.
Ruben Marx, libraire
Beaux-Arts
Sam Szafran, Obsessions d’un peintre
sous la direction de Julia Drost, avec Sophie Eloy, Musée de l’Orangerie-Flammarion, 2022, 191 pages, 39 €
Menacé de mort pendant son enfance, enfant caché, Sam Szafran a perdu une partie de sa famille dans la Shoah. Dans plusieurs entretiens avec Alain Veinstein (Flammarion, 2013), il confie que la peinture serait un moyen de « garder un contact » avec ses chers disparus, de prolonger le souvenir de ce temps heureux où le cercle familial et bienveillant s’extasiait devant ses dessins. « Cet intense bonheur », à l'origine de son énergie créatrice, se retrouverait dans ses tableaux d’une nature luxuriante qui envahit son atelier jusqu’à saturer la toile. L’atelier deviendrait un espace de vie ouvert à la croissance incontrôlée voire menaçante des plantes, effaçant les frontières entre le dedans et le dehors. Cela reste le lieu refuge du peintre, espace rassurant dans lequel est représentée la figure amie de sa femme. Autour d’une poétique de l’espace et de la mémoire, de nombreuses correspondances existent entre l’œuvre de Szafran et celle de Georges Perec, dont Szafran était un fervent lecteur et auquel il a dédié un tableau Lilette dans les feuillages (Hommage à Georges Perec).
Le musée de l’Orangerie expose une soixantaine de pastels, aquarelles, « aquarelles pastellisées» et fusains, nous permettant d’explorer les « obsessions » de Sam Szafran : ateliers, escaliers, philodendrons, lianes et feuillages … Le catalogue d’exposition propose de nouvelles interprétations essentielles, à travers les articles de Jean Clair, Julia Drost, Sophie Eloy, Scarlett Reliquet et plusieurs autres contributeurs. Une œuvre fascinante et obsédante d’un peintre autodidacte et virtuose, survivant funambule, à (re)découvrir d’urgence !
Myriam Soussan, responsable adjointe de la librairie
Coups de cœur précédents
Essai
Des blancs comme les autres ? Les juifs, angle mort de l’antiracisme
Illana Weizman, Stock, 19,50 €
Cet essai d’Illana Weizman, entremêlant recherche historique, analyse sociologique et récit personnel, étudie avec minutie la place des Juifs en France, et notamment dans les
mouvements de pensée antiracistes, ainsi que dans les luttes qui en découlent.
S’appuyant sur l’histoire de l’antisémitisme, Illana Weizman éclaire de façon précise les
stéréotypes et les phénomènes antisémites qui se perpétuent aujourd’hui.
Ce texte est éclairant par sa pertinence, par la qualité de son écriture et par ses nombreux
messages d’unité.
Bande dessinée
La Synagogue
Joann Sfar, Dargaud, 25,50 €
Alors qu’il se trouve à l’hôpital, gravement atteint de la Covid 19, et qu’il écoute l’injonction du médecin de se battre contre la maladie, Joann Sfar repense aux combats de sa jeunesse à Nice. Après une agression de skinheads le jour de sa Bar-Mitzva, suivant les conseils de son père, lui-même bagarreur, il s’engage dans l’apprentissage des sports de combat -sans pour autant faire usage de ses poings. Plus tard, ce sera le dessin qui deviendra son mode d’expression, s’inscrivant ainsi dans la ligne « radicalement pacifiste » de son grand-père, qui lui avait combattu le nazisme.
Une BD autobiographique au dessin malicieux et talentueux, plaidoyer contre la violence, La Synagogue est une fenêtre sur l'adolescence, l’identité juive, l’engagement militant de l’auteur du Chat du rabbin contre l'antisémitisme et ses nouveaux visages.
Jeunesse
Mais qui a bien pu inventer l'école ? Et plein d'autres questions qu'on se pose en y allant...
Shoham Smith (texte), Einat Tsarfati (illustrations), Helvetiq, 79 pages, 19,90 €
Qui a inventé l'école ? Quand ? Pourquoi ? À quoi ressemblait l'école dans le passé ? C'est à ces questions et à bien d'autres que ce bel album documentaire jeunesse répondra !
Le texte plein d'humour de Shoham Smith, ainsi que les illustrations colorées et drôles d'Einat Tsarfati, offrent aux enfants à partir de 8 ans un voyage dans le temps à la découverte des divers modes d'éducation, de la préhistoire à l'époque moderne, en passant par l'Égypte et la Grèce antique, ou encore l'ancien Israël.
On y apprendra, par exemple, qu'il y a près de 2000 ans, le sage Shimon ben Shetah développa le concept d'école et trouva son nom en hébreu « beit sefer », littéralement « la maison du livre »... et qu'un autre sage, le Grand-prêtre Josué ben Gamla créa des écoles pour les enfants juifs âgés de plus de 6 ans.
Après quatre albums jeunesse traduits de l'hébreu par l'émérite Rosie Pinhas-Delpuech et parus aux éditions Cambourakis, ce nouvel album de la talentueuse illustratrice israélienne Einat Tsarfati est traduit par Anath Riveline.
Littérature
Le ghetto intérieur
Santiago H. Amigorena, Folio, 2021, 178 pages, 7,80 €
Vicente Rosenberg est un juif argentin-polonais, vendeur de meubles à Buenos Aires. Il a quitté Varsovie en 1928, mais y a laissé son frère et sa mère qui n’ont pas voulu le suivre.
Alors que le nazisme s’installe en Europe, chaque nouvelle de l’horreur qui y règne l’accable. Sa vie devient un tourment de souffrances et de cauchemars, aussi finit-il par s’emmurer dans un silence quasi total. Il perd le contact avec tout, son travail, ses amis, sa famille et le réel, perd chaque soir son argent aux cartes, s’enfonce de plus en plus et erre sans but dans l’immensité de Buenos Aires.
Ce livre est magnifiquement écrit par Santiago H. Amigorena, petit-fils de Vicente Rosenberg.
Page après page, le lecteur déambule dans la capitale argentine, où Vicente est habité par de multiples questions : l’exil, la famille, la judéité, la culpabilité, et une certaine solitude.
Visionnez la vidéo de la rencontre à l'auditorium avec Santiago Amigorena, à l'occasion de la parution de son roman Le ghetto intérieur.
Un fil rouge
Sara Rosenberg, traduit par Belinda Corbacho, éditions La Contre-allée, 257 pages, 9,50 €
Face à la brutalité de la dictature en Argentine dans les années soixante-dix, une écrivaine,
Sara Rosenberg, et comme en miroir son héroïne, Julia Berenstein, semblent se regarder.
La première témoigne, la deuxième a disparu. Un troisième personnage pose un regard sur
l’histoire de Julia, Miguel, à travers sa volonté de faire un film où parleraient tous ceux et
toutes celles qui ont croisé les combats et le destin funeste de Julia.
Ce roman, c’est l’histoire de Julia et des disparus de la répression en Argentine, c’est aussi l’histoire des luttes sociales et politiques où les immigrés juifs ont pris part, comme Julia Berenstein, Sara Rosenberg, et tant d’autres, traçant par leurs engagements ce fil rouge qui est leur lien et traverse ce livre comme un guide.
Essai
Vivre avec nos morts. Petit traité de consolation
Delphine Horvilleur, Le livre de poche, 206 pages, 7,40 €
En tant que rabbin, Delphine Horvilleur a aussi pour mission d’accompagner les familles endeuillées et de mener au cimetière l’office funéraire en hommage au défunt. À travers les portraits de personnalités, d’anonymes et de leurs proches, elle partage avec le lecteur cette expérience particulière de proximité avec la mort et nous éclaire sur les rites de deuil dans le judaïsme.
Dans Vivre avec nos morts, Delphine Horvilleur nous confie une part de son histoire familiale, hantée par des disparus dans la Shoah, héritage de silence qu’elle tisse à son existence et fait vivre dans son écriture, en une forme d’ouvrage de réparation.
Un livre intelligent et sensible, pour un judaïsme ouvert, le dernier best-seller de Delphine Horvilleur à découvrir en poche !
Jeunesse
Un si petit jouet
Texte d'Irène Cohen-Janca, mis en images par Brice Postma Uzel, les éditions des Éléphants, 31 pages, 14,50 €
Récit tout en délicatesse d'une fillette qui a dû quitter son pays en guerre. De sa maison aux murs blancs, baignée de soleil et entourée de grenadiers, elle n'a pu emporter qu'une seule valise trop petite pour contenir son grand et bel ours blanc, en peluche.
Alors, un tout petit jouet comme sa poupée Léo, c'est idéal, car ça s'emporte partout et ça tient caché dans la main, dans la poche, la trousse d'école et aussi dans un gant de laine quand il fait très froid.
Née à Tunis au milieu des années 50, Irène Cohen-Janca, arrive en France à l'âge de 7 ans. Grande lectrice dans ses jeunes années, conservateur de bibliothèque en région parisienne durant toute sa carrière professionnelle et écrivain jeunesse prolixe, elle est l'auteure de plus de trente romans et albums parus en deux décennies.
Dans ce dernier album, elle aborde avec beaucoup de poésie le sujet de l'exil.
La typographie épurée et les illustrations de Brice Postma Uzel, avec un choix limité de couleurs (le bleu, le vert, le rouge et l'argent) et de nombreux dessins en ombre chinoise, accompagnent élégamment et sobrement le texte.
Jeunesse
À la rencontre de Marcel Proust
Claudine Guilhot, Textes et créations tissus de Claudine Guilhot, dessins de Carö, auto-édition, 2022, 32 pages, 18€
Quelques rares ouvrages destinés au jeune public (voire très jeune public) ont été édités autour de Marcel Proust et de son œuvre. Celui que vient de faire paraître Claudine Guilhot s'adresse plutôt aux collégiens et permet de leur faire découvrir de façon ludique et didactique le monde de Proust en treize rubriques autour des thèmes de la naissance, de l'enfance, des amours, des saveurs, de la peinture, des fêtes, de la nuit ou encore de l'autoportrait.
Sur fond d'une création en tissus de Claudine Guilhot, chaque thème offre l'occasion d'évoquer un aspect de la vie de Proust, de présenter sous forme de paperoles de courts extraits de son œuvre et d'inviter le jeune lecteur à s'interroger sur lui-même, ses goûts, ses expériences.
Parallèlement à sa carrière de professeur des écoles et de formateur auprès d'enseignants, Claudine Guilhot a également publié plusieurs ouvrages scolaires consacrés aux arts visuels autour du tissu, des habits.
Dans ce nouvel ouvrage, elle aspire à faire partager de manière accessible son admiration pour l’œuvre de Proust à un public qu'elle connaît très bien, puisqu'elle lui a consacré sa carrière professionnelle.
Israël
Marrakech-Jérusalem
Patries de mon âme
Shlomo Elbaz, préface de Yehuda Lancry, Avant-propos, 317 pages, 20,95 €
Homme de lettres, homme de paix, Shlomo Elbaz a aussi été un formidable enseignant -instituteur de l’École de l’Alliance israélite universelle à Marrakech, puis professeur de littérature française et comparée à l’université hébraïque de Jérusalem, investi dans la formation d’une jeunesse juive sioniste.
Engagé dans le dialogue avec les Palestiniens, il crée le mouvement « L’Orient pour la Paix » en 1983, persuadé que les Sépharades -par leur vécu et leur connaissance de la langue arabe- peuvent tisser plus facilement des liens et imaginer une coexistence avec leurs voisins.
Ce livre posthume est composé d’une compilation de textes de Shlomo Elbaz, introduits par Emmanuelle Main. Le lecteur découvre son parcours de vie et la palette de ses engagements, sa sensibilité poétique et son regard visionnaire : « (…) L’appartenance au peuple juif, à son histoire et à sa culture, ne saurait être l’exclusivité de l’orthodoxie.
Il n’y a pas qu’une seule voie vers le judaïsme. Il y a place pour toutes les nuances : orthodoxe, réformée-libérale, traditionaliste, laïc. Seul le pluralisme sauvera le judaïsme de l’éclatement. (…) Ma judéité, et mon sionisme, sont donc essentiellement à caractère laïc, humaniste, pacifiste. »
Articles de journaux, articles universitaires, textes intimes, tout y passe dans Marrakech-Jérusalem, patries de mon âme. Les écrits de Shlomo Elbaz sont riches et pluriels : analyses pointues de textes d’Albert Memmi ou d’André Chouraqui, récits d’enfance et description minutieuse des mœurs des Juifs des lieux qu’il côtoie.
Marrakech et Jérusalem sont décrites dans les moindres détails, chaque angle de rue est raconté par Shlomo Elbaz, passionné et exalté par l’ambiance et l’histoire de ces villes.
Il évoque aussi l’exil, les questions identitaires et familiales qui l’habitent. Son style d’écriture est notable, présent dans cet ouvrage lucide, beau et sincère, qui transmet un immense message d’ouverture.
Le mouvement des kibboutz et l’anarchie
Une révolution vivante
James Horrox, traduit de l'anglais par Philippe Bloui, éditions de l’éclat, 328 pages, 2018, 15€
Cet ouvrage traite de l’histoire politique et anarchiste des kibboutz tout au long du vingtième siècle. Sur une terre « sujette aux tremblements », une multitude d'expérimentations sociales ont émergé, se voulant égalitaires, utopistes, socialistes et révolutionnaires, fortement influencées par la pensée anarchiste, notamment par celle de Kropotkine, dont les écrits sont arrivés avec les migrants russes et européens.
Le fonctionnement interne des kibboutz et de leurs habitants y est détaillé avec minutie, tout au long d’une analyse politique très approfondie sur les formes de démocratie directe,
l’approche révolutionnaire du rapport au travail, à la productivité, ainsi que les multiples formes qu’ont pu prendre ces communautés que Martin Buber allait jusqu’à appeler « la communauté de communautés ».
James Horrox interroge les liens à la fois consensuels et contradictoires entre le mouvement des kibboutz qu’il appelle « sionisme culturel » et celui du « sionisme politique » qui va se développer jusqu’à aboutir à la naissance de l’Etat d’Israël en 1948.
Et même si le mouvement connaît par la suite une forme de décroissance, l’auteur nous entraîne à voir, à travers l’évolution permanente des kibboutz, un espoir constant de renouveau possible.
Shoah
Le Ravin
Une famille, une photographie, un massacre au cœur de la Shoah
Wendy Lower, traduit de l'anglais par Johan-Frédérik Hel Guedj, préface de Johann Chapoutot, Tallandier, 313 pages, 20,90 €
Historienne et spécialiste de la « Shoah par balles » en Ukraine, Wendy Lower s’intéresse à une photographie en particulier, qui lui a été présentée en 2009.
Prise le 13 octobre 1941, à Miropol (actuelle Myropil), cette photographie nous montre l’assassinat d’une femme juive courbée devant une fosse, tenant par la main un enfant, par des tueurs debout, pointant leurs fusils à quelques centimètres de distance.
Ce document historique, a priori impénétrable, se révèle grâce à une enquête minutieuse et haletante. Wendy Lower parvient à reconstituer son contexte, à identifier les victimes, à démasquer les meurtriers, à retrouver le nom du photographe…
La femme, portant la robe à pois, serait Khiva Vaselyuk avec Boris Sandler, le petit garçon de dos, et Roman Vaselyuk (le deuxième enfant que Khiva tenait courbée sur ses genoux).
Cet ouvrage de micro-histoire accomplit un travail essentiel qui offre de la « dignité aux victimes », retrouve leur identité -des noms, des visages sauvés de l’anonymat et de l’oubli.
Linguistique
El Nehama al reverso. Vocabulaire français/judéo-espagnol
Alain de Tolédo, Éditions Muestros Dezaparesidos, 2021, 322 pages, 46 €
Quand, à Paris en 1978, le linguiste et professeur d'études judéo-espagnoles Haïm-Vidal Sephiha fait découvrir au jeune Alain de Tolédo « le Nehama », en fait, le Dictionnaire du judéo-espagnol, une somme constituée avec patience et rigueur, en français, par l'érudit salonicien Joseph Nehama et publiée de manière posthume en 1977 à Madrid par le Consejo superior de investigationes cientificas (équivalent de notre Cnrs), c'est l'éblouissement.
Mais, pour Alain de Tolédo et sa génération, c'est-à-dire les enfants de tous ces Juifs sépharades qui avaient quitté l'espace judéo-espagnol (Turquie, Grèce, Balkans), il manquait également l'outil inverse, un dictionnaire français / judéo-espagnol. C'est alors que lui vint l'idée « simple » de « prendre le Nehama et le mettre à l'envers ».
Après des années d'un travail de bénédictin et l'adaptation à l'ère numérique, le tapuscrit, avec ses 16 000 entrées et plus de 80 000 mots, circulait uniquement chez quelques « spécialistes » à qui il était fort utile.
Grâce aux éditions de son association « Muestros Dezaparesidos », qui a déjà fait paraître un ouvrage monumental, le Mémorial des Judéo-Espagnols déportés de France (2019, 720 pages, 29€), Alain de Tolédo met aujourd'hui à disposition des amateurs de cette langue en péril, un formidable outil leur permettant d'enrichir leur expression écrite et orale.
Ce précieux « vocabulaire français / judéo-espagnol » (dialecte de Salonique) qui s'utilise en complément de l'inestimable Dictionnaire du judéo-espagnol de Joseph Nehama (réédité régulièrement par les Éditions de la Lettre Sépharade depuis 2003) vient compléter les usuels indispensables que sont le Manuel de judéo-espagnol de Marie-Christine Varol et le Dictionnaire français judéo-espagnol de Klara et Élie Peharia (L'Asiathèque, Langues & Mondes, tous deux parus en 1998 pour la première édition, dialecte d'Istanbul).
Jeunesse
Je me souviens
Gilles Rapaport, Gallimard jeunesse, 2020, 34 pages, 13,50 €
Avec une grande économie de mots, Gilles Rapaport nous rappelle la chance que nous avons de vivre dans un pays démocratique, illustrant son propos par l’évocation du parcours de sa famille, accueillie en France, puis cachée pendant la guerre.
Cette ode aux valeurs républicaines résonne comme un message nécessaire, en ces temps où la démocratie est menacée en Europe. Un album à prescrire, à partir de 7 ans.
La vie est belle, belle toujours
Vivianne Faudi-Khourdifi, illustré par Clairon (Claire Boireau), Éditions DeLugène, 2019, 108 pages, 7 €
Dans les années 1970, Jean, 10 ans, passe ses vacances chez sa tante Adélaïde Hautval. Dans la petite maison de Groslay, en banlieue parisienne, entouré par « Tante Haïdi » et Lolotte, colocataire et amie fidèle, le jeune garçon mène une vie agréable, entre observation de la nature et des animaux, concerts de musique (lui à la flûte traversière, sa tante au piano) et dégustation de savoureuses pâtisseries alsaciennes « faites maison ».
Un dimanche après-midi pluvieux, une jeune fille sonne à la porte, une vieille valise à la main. Quels secrets contient cette mystérieuse valise tout droit sortie de la sombre période de la Seconde guerre mondiale ? Quel a bien pu être le rôle de « Tante Haïdi » à cette époque ?
Dans ce petit roman commandé par la municipalité de Guebwiller pour expliquer aux enfants de la future école Adélaïde Hautval qui elle était, l'auteure dresse le portrait de cette résistante protestante discrète, « amies des Juifs », internée à Pithiviers puis à Beaune-la-Rolande, avant d'être déportée à Auschwitz-Birkenau puis à Ravensbrück où comme médecin, elle aida de nombreuses femmes à survivre. Adélaïde Hautval a été nommée « Juste parmi les nations » en 1965.
L'ami retrouvé
Fred Uhlman, illustré par Manuele Fior, "la petite littéraire" Futuropolis Gallimard, 2022, 14,90€
L’amitié passionnelle entre deux adolescents d’un lycée renommé de Stuttgart, au milieu des années trente. Hans Schwarz et Conrad von Hohenfels sont complices, partagent beaucoup, se séduisent même, et semblent planer au-dessus du grabuge.
Hans, le narrateur, est juif, fils d’un médecin de la classe moyenne. Conrad, lui, est issu d’une très grande famille de l’aristocratie allemande, respectée, riche, célèbre, et antisémite. Les deux garçons, tiraillés chacun par la contradiction que représente leur relation, oscillent entre fusion et rejet. Au fur et à mesure du récit, Hans prend conscience de la montée de l’antisémitisme autour de lui, son amitié avec Conrad est mise à l’épreuve et sa relation au monde extérieur aussi : il est harcelé et violenté au lycée par ses « camarades » de classe et ses parents finissent par l’envoyer aux États-Unis pour le protéger. Il ne les reverra jamais.
Des années plus tard, Hans, devenu avocat à New-York, apprend finalement ce qui est
arrivé à son ancien ami Conrad.
Cette nouvelle édition du célèbre roman de Fred Uhlman est illustrée avec élégance. Les dessins de Manuele Fior sont travaillés, calmes, lumineux.
Littérature
Livres d’artiste
Ricardo Bloch, éditions numérotées et signées, limitées à 30 exemplaires en vente exclusive à la librairie du mahJ
À la recherche du Bloch perdu, 27€
À la recherche du Proust perdu, 34€
À la recherche du sens premier. Du côté de chez Swann, page 1 (annotée), 24€
À la recherche du sens perdu I. Du côté de chez Swann, page 1, 38€
Lettres choisies, 24€
À la recherche du texte perdu : Marcel Proust, Du côté de chez Swann, page 1, préface de Daniel Pennac, Philippe Rey, 2019, 12€
Ricardo Bloch est un artiste franco-mexicain qui perçoit le livre d’artiste comme le médium idéal pour déployer une œuvre conceptuelle. Il a imaginé, conçu et édité un ensemble de livres originaux à la mode oulipienne autour de Marcel Proust, de son chef-d’œuvre et de la figure de Bloch, personnage ambigu d' À la recherche du temps perdu.
L'artiste explore dans ses ouvrages les aléas de la traduction automatique et la place dans l’histoire et la culture françaises d’un nom de famille. Il joue avec les maquettes de premières de couverture, la typographie, la mise en page, les notes de bas de page et s'applique à dresser des listes.
Le lecteur prendra plaisir à parcourir les traductions automatiques de la première page d'À la recherche du temps perdu en plusieurs dizaines de langues différentes, langues familières européennes ou langues plus « exotiques » comme le cingalais, le gujarati ou le zoulou. Il se régalera a coup sûr du résultat de la re-traduction de ces langues vers le français. Il s'étonnera avec amusement de la concision et de l'étrangeté de ce texte « Allez-y, regardez et profitez-en ! Je me souviens du temps où Carol Francis avait quatre chevaux. Il me respecte. », obtenu après la traduction de la première page d' À la recherche du temps perdu en plus de cent langues (de l'afrikaans au zoulou, en passant par l'hébreu et le yiddish), avec à chaque opération de traduction un va-et-vient avec le français.
« Une rencontre surprenante qui a éveillé ma curiosité. Ce que j'ai aimé dans le travail d'artiste de Ricardo Bloch, c'est sa démarche sur la forme, la construction et les subtilités du texte. »
Yaële Baranes, conférencière du mahJ
« Le travail de Ricardo Bloch est jubilatoire et intelligent. Ses livres d’artistes sont des œuvres que l’on peut mettre dans sa poche pour les offrir aux amateurs de Proust et à tous ceux qui aiment jouer avec les mots. »
Pascale Samuel, conservatrice de la collection d’art moderne et contemporain du mahJ
Le silence est d'or
Yonatan Sagiv, traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche, L’Antilope, 2022, 430 pages, 22 €
Dans la Tel-Aviv d’aujourd’hui, Oded Hefer, détective privé original, anti-héros gay, qui
s’exprime en mélangeant le masculin et le féminin, se voit confier par sa grand-mère Nouki Feïn, résidente d’une maison de retraite, la mission de retrouver « son » chat Samuel. La recherche du félin le mène rapidement à découvrir le cadavre d’un autre pensionnaire Réuven Shalev. L’aide-soignant Djihad Kadri, que Réuven a insulté peu avant le meurtre, semble le coupable idéal…
Roman policier décalé, à la langue rythmée, colorée et rugueuse à la fois, l’ouvrage parvient aussi à évoquer la minorité palestinienne d’Israël et à révéler une page enfouie de l’histoire de la guerre d’Indépendance.
Dieu était en vacances
Julia Wallach et Pauline Guéna, Grasset, 2021, 152 pages, 16 €
Témoignage de Julia Wallach sur sa déportation à Auschwitz-Birkenau et les marches de la mort qui s’ensuivent. Le récit, saisissant par son ton direct et littéral, est parsemé de ses souvenirs familiaux dans le Paris d’avant-guerre. Des scènes d’une grande douceur se mélangent à l’horreur. On est saisi par les mots et l’histoire de Julia Wallach. Elle nous aide à se souvenir. Un livre important.
A noter l'existence du DVD du film de la petite-fille de Julia Wallach : Trop d'amour (Ex Nihilo) de Frankie Wallach, disponible à la Librairie du mahJ.
La carte postale
Anne Berest, Grasset, 2021, 501 pages, 24 €
Tout commence par une carte postale mystérieuse, portant quatre prénoms, ceux des disparus dans la Shoah de la famille d’Anne Berest. Point de départ d’une enquête captivante, ce roman de la transmission entre plusieurs générations retrace l’histoire de la grand-mère de l’auteure Myriam et de ses arrière-grands-parents Ephraïm et Emma, depuis la Russie, en passant par la Lettonie, la Palestine, puis Paris et leur rêve d’intégration dans la société française, avant d’être piégés par la guerre. Anne Berest s’inspire de faits réels, reconstruits par sa mère Lélia grâce à son travail dans les archives, pour proprement imaginer le roman de sa famille. La dimension romanesque de la réalité participe du caractère haletant du récit : la fuite vers la zone libre de sa grand-mère Myriam dans le coffre d’une voiture, aux côtés du peintre Jean Arp, conduite par sa belle-mère Gabriële Buffet, le trio amoureux qu’elle forme, dans une bastide sur le plateau des Claparèdes en Provence, avec son mari Vicente -fils de Francis Picabia et Gabriële Buffet- et Yves Bouveris -lié au réseau de résistance de René Char- , qui deviendra son second mari. L’ouvrage offre aussi des pages consacrées aux interrogations de l’auteure sur la judéité et la résurgence de l’antisémitisme aujourd’hui. Suivant inconsciemment l’injonction de sa grand-mère de ne pas oublier ses quatre disparus, Anne Berest tisse un récit passionnant de la troisième génération de survivants, entre roman et éléments autobiographiques. Il suffit d'une brève recherche sur le site du Mémorial de la Shoah pour découvrir, le cœur serré, les visages d’Ephraïm, Emma, Noémie et Jacques Rabinovitch. Un roman à savourer et à offrir sans modération !
Avant de s'en aller. Saul Bellow, une conversation avec Norman Manea
Traduit de l'anglais et du roumain par Marie-France Courriol et Florica Courriol, éditions La Baconnière, 156 pages, 11 €
Au crépuscule de sa vie, « avant de s’en aller », Saul Bellow (1915-2005) confie à son ami écrivain Norman Manea un « fragment de [s]es mémoires » qu’il n’écrira pas. L’amitié entre les deux hommes et la connaissance que Norman Manea possède de l’œuvre de l’auteur d’Herzog (folio) ou de La planète de Mr Sammler (folio)- stimulent l’éclosion du récit. C’est un réel bonheur d’« écouter » ce parcours de vie, dont certains épisodes marquants de l’enfance nous sont contés - la solitude lors d’une hospitalisation à huit ans ou l’expérience formatrice auprès de son père dans le commerce du charbon, dans les faubourgs de Chicago : « Tu sais, on se rend seulement compte à quel point notre vie est folle lorsqu’on se met à la raconter » Dans cette riche conversation littéraire, toute une existence est traversée, de l’évocation de la place de l’écriture à la réception du prix Nobel, décerné à Saul Bellow en 1976, jusqu’à la conclusion suivante : « et au fond, je n’éprouve que de la reconnaissance pour la vie que j’ai vécue. »
La France goy
Christophe Donner, Grasset, 2021, 506 pages, 24€
Un minutieux roman historique sur la montée en puissance de l’antisémitisme français des quelques décennies précédant la Première Guerre mondiale.
Christophe Donner enquête sur les sinistres figures de cette époque, entre autres Edouard Drumont, Charles Maurras et Léon Daudet.
On découvre leurs parcours de propagateurs de haine et, notamment, l’histoire du journal La Libre Parole et son rôle dans la construction de l’antisémitisme. Une plongée vertigineuse au cœur des mécanismes de la création d’un « autre ».
Le Pain perdu
Edith Bruck, traduit de l'italien par René de Ceccatty, éditions du sous-sol, 2022, 167 pages, 16,50€
La langue d’Edith Bruck est rugueuse, entraînante, aux images décalées. On pense au choc éprouvé à la lecture d’Être sans destin d’Imre Kertész. Edith Bruck a 13 ans quand elle est déportée, en avril 1944, d’un village de Hongrie vers Auschwitz.
« Le Pain perdu » renvoie au pain préparé par sa mère, la nuit précédant l’arrestation de leur famille, à l’issue de la semaine de la Pâque juive. Sa mère se lamente d’avoir dû abandonner ses miches, dans une scène à la fois comique et déchirante. Pendant le voyage vers l’enfer, Edith Bruck décrit ce dernier moment de tendresse avec sa mère : « dans le wagon, c’était la première fois qu’elle me peignait, qu’elle me faisait des tresses avec l’unique ruban rouge […], en séparant mes cheveux en deux parties égales. Et personne ne pouvait être plus heureux que moi, quand je sentais ses mains tranquilles sur ma tête comme si elles y avaient trouvé un doux repos ».
Devenue « d’un coup les parents de [se]s parents », Edith Bruck aura survécu pour témoigner, « pour les autres », « à la place d’autres » qu’elle porte en elle, avec toute [s]a vie / avec chacun de [s]es gestes/ avec chacune de [s]es paroles/ avec chacun de [s]es regards./ Et quand se terminera/cette mission ? (Pourquoi aurais-je survécu ? Poèmes, Rivages poche). Son témoignage de rescapée de la Shoah constitue un miracle littéraire.
Essai
Misère de l’antisionisme
Ivan Segré, L’Éclat, 2020, 122 pages, 8 €
Cet essai du philosophe et talmudiste Ivan Segré analyse de façon engagée les propos de plusieurs intellectuels et politiques français concernant l’État d’Israël, son histoire, sa politique, son « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur » dixit De Gaulle en 1967, au lendemain de la guerre des Six Jours et de la victoire israélienne.
Ivan Segré documente comment Israël est mis au banc des accusés sous des prétextes humanistes et démocratiques quand sont passées sous silence bien des barbaries avérées et à l’occasion perpétrées par les émules de ces accusateurs.
L’ouvrage est jalonné de citations, de leurs analyses, et définissant la « portée symbolique » du conflit israélo-palestinien, pose au fil de la lecture la question centrale : d’où procède l’antisémitisme et comment un tour de magie rhétorique lui donne parfois un autre nom ?
Shoah
Paroles et images des enfants d’Izieu 1943-1944
Bibliothèque nationale de France-Maison d’Izieu, 2022, 221 pages, 29 €
Histoire d’Ivan Tsarawitch. La lanterne magique des enfants d’Izieu
Bibliothèque nationale de France, 2022, 15 €
En 1993, Sabine Zlatin a confié à la Bibliothèque nationale de France les papiers divers, dessins, lettres, photographies laissés derrière eux par les enfants d’Izieu, après la rafle du 6 avril 1944, autant d’archives précieuses et émouvantes de leur existence sur place. Ces documents exceptionnels sont présentés actuellement à la Maison d’Izieu jusqu’au 6 juillet 2022, puis feront l’objet d’une exposition au mahJ du 26 janvier au 23 juillet 2023, « Dessins des enfants d’Izieu », placée sous le commissariat de Stéphanie Boissard (Maison d’Izieu), Claire Decomps (mahJ) et Loïc le Bail (BnF).
Conjointement à la publication d’un ouvrage très complet faisant office de catalogue, paraît Histoire d’Ivan Tsarawitch. La lanterne magique des enfants d’Izieu (BnF), un livret en accordéon présentant en fac-similés les images d’un récit d’aventure dessiné sur de longues bandes de papier, sous-titré d’une transcription du scénario selon le manuscrit original. Au cours de veillées, les petits pensionnaires projetaient ces images, tout en lisant le scénario, comme lors d’une séance de cinéma. Ce leporello illustre la vitalité créatrice des enfants d’Izieu, malgré leur situation de détresse. Il témoigne du souci de conservation et de transmission aux générations futures de ces traces bouleversantes parvenues jusqu’à nous. Un petit film d’animation commandé par la Maison d’Izieu à l’école de dessin Émile Cohn de Lyon sera visible dans l’exposition du mahJ pour redonner vie à cette œuvre, symbole d’innocence et de talents sacrifiés.
https://www.memorializieu.eu/event/expositions-dans-les-collections-de-la-bnf/
Beaux-Arts
Dorothée. A bikhele lider
Un petit livre chantant d'Isabelle Georges, Encore Music, 24 pages, 20 €
Isabelle Georges est une chanteuse au répertoire varié que l'on connaît bien au mahJ, entre autres pour sa collaboration avec l'ensemble Sirba Octet ou encore avec le pianiste Jeff Cohen, avec lequel elle a fait paraître en 2017 le remarquable album Vienne-Paris-New York dans lequel elle interprétait des chansons de compositeurs partis d'Allemagne et d'Autriche, passés par Paris avant d'aller aux États-Unis.
Cette artiste passionnée a construit ce petit « livre chantant » autour des chansons préférées de Dorothée Vienney, grande dame de la culture yiddish à Paris, à laquelle elle rend ainsi hommage. C'est auprès de Dorothée (décédée en février 2021), rencontre après rencontre, qu'Isabelle a appris la langue des « litvaks ». Cet émouvant livret offre 9 chants en yiddish (accompagnés de leur traduction en français et de leur transcription en caractères latins), voire en français ainsi que des textes évoquant les moments clefs de la vie de Dorothée, les souvenirs et impressions d'Isabelle (à noter que le lecteur y trouvera aussi une blague et une recette de gateau au fromage !). L'ensemble est illustré par Myriam Racine.
Sur le CD qui accompagne le petit livre, Isabelle Georges, chanteuse à la voix de velours, interprète ces textes avec simplicité et élégance.
Voilà un petit bijou à lire, à regarder et à écouter dès que possible !
Alec Borenstein. Ambivalence et beauté
Mickaël Parienté (sous la direction de), éditions Stavit, 287 pages, 75 €
Alec Borenstein fêtera ses quatre-vingts ans ce lundi 31 janvier 2022 et l’épais volume que vient de faire paraître son ami, l’éditeur franco-israélien Mickaël Parienté, permet de découvrir sept décennies de l’œuvre de cet artiste qui n’a jamais cessé de peindre depuis son plus jeune âge. Arrivé en Israël en 1947, avant l’indépendance du pays (il est né en Sibérie en 1942, alors que ses parents fuyaient la Pologne sous occupation nazie), il reçoit à l’âge de quinze ans le prix de la Fondation culturelle Amérique-Israël Keren Sharett qui marque sa consécration en Israël comme enfant prodige et le hisse parmi les jeunes espoirs du pays. En 1972, il quitte définitivement Tel Aviv et s’installe à Paris. Son œuvre qui selon ses propres mots « oscille entre un réalisme très sévère et un certain onirisme » présente plusieurs périodes (réalisme, abstraction lyrique) et offre des séries aux thèmes récurrents comme les rues de Tel Aviv et de Paris, des motifs comme le citron, la nappe à carreaux, les boîtes en métal ou encore Freud !
Récits. Conversation avec Laure Adler
Christian Boltanski, Flammarion, 169 pages, 21 €
En écho à l’exposition « Faire son temps » qui s’est tenue au Centre Pompidou en 2019, la couverture de ce livre d’entretiens avec Laure Adler porte, selon la volonté de Christian Boltanski qui nous a quitté l’été dernier, la photo de l’œuvre Départ et en quatrième de couverture celle d’Arrivée, la composition lumineuse qui accueillait les visiteurs et celle qui achevait le parcours d’exposition.
Entre Départ et Arrivée, cette passionnante conversation explore tout un cheminement de vie, depuis l’enfance « spéciale » de l’artiste au sein d’une famille telle un « corps collectif » en lutte pour la survie, marquée par la Shoah, jusqu’à l’évocation de la mort comme un horizon de repos et de paix.
On rit aussi à la lecture de ces récits, teintés d’anecdotes savoureuses. Dans ces échanges, sont prononcées des paroles essentielles, qui éclairent la démarche de l'un des artistes majeurs de notre époque, dont l’œuvre Les habitants de l’hôtel de Saint-Aignan en 1939 (1998) est exposée dans la courette du mahJ : « je parle de ceux qui ont disparu pour les faire revivre un peu. (…) Si mon œuvre est regardée, la réalité de leur vie sera sauvegardée. On saura qu’ils ont été. Ils ont été. »
Tout est poupée. Conversations avec Jean-Michel Bouhours
Michel Nedjar, "Entretiens" Buchet Chastel, 2021, 154 pages et 16 planches, 21€
Michel Nedjar est un artiste plasticien et cinéaste auquel le mahJ est très attaché depuis bientôt vingt ans, puisqu'il réalisa en 2004 Poupées Pourim un ensemble de 30 pièces en tissu et matériaux de récupération (une exposition éponyme eut lieu l'année suivante, sous le commissariat de Nathalie Hazan-Brunet alors conservatrice de la collection moderne et contemporaine du musée). En 2016, l'exposition Michel Nedjar. Présences avait enchanté le foyer de l'auditorium du musée (https://www.mahj.org/fr/programme/michel-nedjar-presences-45964, voir aussi sur cette page l'entretien Les chantiers interdits de Michel Nedjar mené par Isabelle Filleul de Brohy).
Le présent recueil d'entretiens menés avec Jean-Michel Bouhours (ancien conservateur en chef du Musée national d'art moderne de Paris) offre au lecteur la chance d'entrer dans l'univers singulier de cet artiste qui de l'art dit « brut » au cinéma expérimental (underground) a forgé une oeuvre multiple, inspirée entre autres des cultures mexicaines, afro-caribéennes et de différentes spiritualités.
Sa jeunesse, les différentes périodes de son travail, les rencontres amoureuses, artistiques et intellectuelles sont retracées. Le tournant du milieu des années 2000 avec sa rencontre avec Nathalie Hazan-Brunet (mahJ) et le travail Poupées Pourim est évoqué et défini par l'artiste comme « un retour à l'enfance, un moment jubilatoire ».
Michel Nedjar fêtera ses 75 ans dans quelques mois et continue son travail. Une vie de création entre ombre et lumière, pulsion et réflexion, ordre et désordre : selon Jean-Michel Bouhours « mouvement profond et lent de renversement entre la noire inquiétude de ses débuts vers une certaine sérénité spirituelle devant l'accomplissement d'un cycle ».
Filiations
Michel Nedjar, Lienart-Domaine départemental de Chamarande, 2021, 160 pages, 20€
« J’ai une identité multipolaire, millénaire, qui suis-je dans tout ça ? » Michel Nedjar
Pour compléter la lecture du recueil d'entretiens avec Michel Nedjar (voir recension ci-dessus) et pour ceux qui n'ont pas eu la chance de visiter l'écrin bucolique du Domaine départemental de Chamarande qui présentait jusqu'au 9 janvier dernier l'exposition « Michel Nedjar. Filiations », le domaine a édité avec Lienart un magnifique catalogue sous la direction de Nathalie Hazan-Brunet et propose sur son site une visite virtuelle :
Dans cet ouvrage lumineux, la présentation des œuvres est précédée de deux beaux textes de Philippe Comar et de Jean-Michel Bouhours ainsi que d'un texte épistolaire de François Ardeven.
Ce catalogue de la toute dernière exposition des œuvres de Michel Nedjar est en vente exclusive au Domaine de Chamarande et à la librairie du mahJ !
Bande dessinée
Les lettres d'Hilda Dajč
Aleksandar Zograf, traduit de l'anglais par Fanny Soubiran, L'Association, Coll. « Patte de mouche », 24 pages, 3€
Dans cette courte biographie, l’auteur de bande dessinée serbe Aleksandar Zograf retrace le destin et l’engagement d'Hilda Dajč, jeune fille serbe d'origine viennoise qui se porte volontaire en tant qu'infirmière à l'hôpital juif de Belgrade en avril 1941, après l'invasion de la Yougoslavie par l'Allemagne nazie. Cette brillante étudiante en architecture de dix-neuf ans est ensuite envoyée au camp de Sajmište (infrastructure équipée d’espaces d’exposition, de restaurants, de galeries et de salles de concert, ouverte au public en 1937-1938 pour accueillir la foire de Belgrade), situé à seulement quelques enjambées du centre historique de Belgrade. Comme la plupart des détenus juifs du camp, femmes, enfants et personnes âgées, elle est exterminée par les nazis, asphyxiée dans un camion à gaz en 1942, à une date inconnue. L’auteur a adapté et a reproduit des extraits de quelques lettres d'Hilda Dajč envoyées à deux amies de lycée. Seules quatre lettres, dont trois sortirent clandestinement du camp, ont été miraculeusement conservées (les trois premières sont déposées au Musée historique juif de Belgrade et la quatrième aux Archives historiques de Belgrade).
« Nous sommes si proches du monde extérieur et pourtant si loin de tout le monde. Nous n'avons de contact avec personne ; la vie de chacun à l'extérieur suit son cours comme s'il n'existait pas, à un demi-kilomètre de là, un abattoir contenant 6000 innocents ».
Judaïsme
Le Livre d'Esther
d'après la meguilah de Salamanque (XVe siècle), illustrations de Maeva Rubli, traduction de l'espagnol par Julia Chardavoine, postface du professeur Carlos N. Sainz de la Maza, Lior éditions, 20 € le volume, 112 pages (version originale en espagnol ou traduction en français) / 40€ le coffret (avec les deux volumes)
Sous la direction rigoureuse et soigneuse de François Azar, les éditions Lior œuvrent depuis plusieurs années à la promotion et au renouveau de la culture judéo-espagnole. Leur dernière parution, une édition en deux volumes sous coffret du texte d'un manuscrit médiéval espagnol du livre biblique d'Esther est une véritable merveille !
Comme chacun sait, le rouleau d'Esther, lu chaque année à la synagogue lors de la fête de Pourim, commémore l'intervention de Mardochée le Juif et de sa filleule, la reine Esther, qui inversent le sort et sauvent leur peuple du projet d'extermination fomenté par Haman, conseiller du roi perse Assuérus.
Cette toute nouvelle édition bilingue laisse une place majeure aux illustrations. Le texte biblique, magnifié par les couleurs éclatantes et les dessins à la fois modernes, joyeux et inquiétants, l'est également par la poésie de la langue (tant dans sa version originale espagnole du XVe siècle, traduction assez littérale du texte hébreu, que dans sa traduction française).
Courez au musée ce dimanche pour danser au grand bal de Pourim et pour vous procurer à la librairie ce coffret dont vous ferez vos délices !