Lettre
DREYFUS, Alfred
Îles du Salut, Guyane, France,
26 octobre [1895]
Inv.
2004.27.033.013Document d'archives
Lettre
photo © mahJ
Dimensions :
H. 18 - L. 11,3 cmÉcriture manuscrite à l'encre noire sur papier
mahJ,
don de Gilbert Schil
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Appartenance à un ensemble
Ensemble de lettresDestinataire
DREYFUS, LucieJustification de la date
Date inscrite dans le texteHistorique
Copie par Lucie ou un autre membre de la famille.La lettre copiée dans ce document manque dans le livre de correspondance.
Description
Une feuille de papier, pliée en deux et dont les 4 faces (ou pages) sont couvertes d'une écriture manuscrite.Texte:
- " Îles du Salut, le 26 octobre 189[5]/ Ma chère Lucie/ Je ne puis guère que te confirmer mes lettres du 3 et du 5 octobre, comme celle du 27 septembre./ Nous avons tous deux nos forces dans une attente, dans une situation aussi terrible qu'imméritée et elles finissent par nous manquer, car tout a une limite. Or, il y a nos enfants, auxquels nous nous devons, auxquels il faut leur honneur avant tout. C'est pourquoi vibrant de douleur, non seulement pour tout ce que nous souffrons tous deux depuis si longtemps, que ce martyre effroyable de toute une famille, j'ai écrit à M. le Président de la République. Je t'ai écrit mes dernières lettres pour dire qu'il fallait agir en allant droit au but, le front haut, en innocents qui ne demandent ni grâces ni faveurs, mais qui veulent la lumière, justice enfin. Si l'on peut fléchir sous certains malheurs, jamais on ne subit le déshonneur quand on ne l'a pas mérité./ Notre supplice qui n'est pas de notre époque a assez duré, trop duré./ Donc de l'énergie, ma chère Lucie et une énergie active, agissante qui doit triompher car elle est appuyée sur le bon droit, car elle ne veut que la lumière, le grand jour, l'éclaircissement de cette affaire. Nous ne sommes pas en face d'un mystère insondable./ Comme je te l'ai dit, ce ne sont ni pleurs qui usent, ni paroles inutiles qu'il faut, ce sont des actes./ L'honneur d'un homme, de ses enfants, de deux familles, plane au dessus de toutes les passions, de tous les intérêts. Agis donc, ma chère Lucie, avec l'âme héroïque d'une femme qui a une noble mission à accomplir, dusses tu porter la question partout, devant les têtes les plus hautes, et j'espère apprendre bientôt que cet épouvantable supplice a enfin un terme./ Baiser à tous./ Je t'embrasse ainsi que nos chers enfants avec toute la force de mon affection. Alfred
J'ai reçu ce mois-ci de ta part de nombreux envois de vivres. Merci du plus profond de mon cœur pour tes touchantes attentions. J'attends avec impatience de tes nouvelles qui me parviendront je pense dans une trentaine de jours./ 26 octobre au soir/ Avant de faire partir cette lettre, je veux encore y ajouter quelques mots, car il me semble ainsi me rapprocher de toi, comme au temps heureux où nous bavardions au coin de notre feu. Et puis, ce sont les seuls moments où je te cause et si je n'écoutais que mon désir, je viendrais te causer ainsi tous les jours, à toutes les heures du jour, mais ce serait toujours les mêmes paroles./ Si je gémis parfois, c'est que tel que tu me connais, et tu sais bien que je ne suis ni un résigné, ni un patient, le supplice est trop grand, les heures deviennent trop lourdes. Je ne me fais pas plus fort que je ne suis. Si j'arrive encore à résister je t'ai dit pourquoi, je ne veux pas encor y revenir./Mais si j'en suis réduit à gémir, à me croiser les bras devant la douleur, la plus épouvantable que puisse ressentir un cœur honnête et ardent de soldat, frappé non seulement lui-même, mais dans sa femme, dans ses enfants, dans les siens, je te dis à toi, comme à vous tous: de l'âme, de l'énergie personnelle. Quand on subit un malheur aussi immérité, on en sort, et l'on en sort non pas par des pleurs et des récriminations, mais en allant droit au but, qui est notre honneur, avec une énergie active, infatigable, qui doit être aussi grande que les circonstances l'exigent. Il y a en fin une justice en ce monde, et il n'est pas possible que des innocents subissent un martyre pareil. D'ailleurs, je ne fais que me répéter et je ne fais que me répéter; mes sentiments n'ont pas varié./ Tout cela plutôt pour bavarder avec toi, que pour autre chose, pour faire passer une heure de mes longues nuits, car comme je te l'ai dit, j'attends maintenant le résultat de tes efforts et de tes démarches, qui je pense ne se feront pas attendre et j'espère que je verrai bientôt le/[latéralement] le jour ou je pourrais enfin respirer, me détendre un peu./ Il en sera temps, je te l'assure. Encore de bons baisers pour toi, pour les enfants. Alfred.
Langue
français