L'Antisémitisme, son histoire et ses causes

L’antisémitisme, son histoire et ses causes marque un moment très particulier de la démarche intellectuelle et politique de Bernard Lazare. Pour beaucoup de ses contemporains, et aux yeux des historiens de l’Affaire, l’ouvrage a longtemps été réduit à sa dimension de livre antisémite écrit par un juif. Mais il est le premier intellectuel à avoir consacré un ouvrage aux causes, à la nature et aux effets de l’antisémitisme au moment où la ligue antijuive et Edouard Drumont, notamment par le journal La Libre Parole créé en 1892, agitent l’opinion publique française contre les Israélites et contre les juifs immigrés.
Dès 1889, Bernard Lazare mène des recherches cinq années dans le cadre de ses études à l’EPHE pour un mémoire sur Juifs et israélites. Ayant rassemblé un impressionnant corpus documentaire, il s’interroge sur l’origine de l’antisémitisme. En 1892, il publie dans Les Entretiens un article intitulé « Les causes générales de l’antisémitisme » qui deviendra le premier chapitre de L’antisémitisme, son histoire et ses causes » (les pages imprimées de cet article figurent dans le volume présent). Le 20 mai 1893, il publie dans La Revue Bleue un article intitulé « L’esprit révolutionnaire dans le judaïsme » qu’il incorporera également dans l’ouvrage en préparation (les pages imprimées de cet article figurent dans le volume présent). Au cours de l’été 1893, il se met à la rédaction des chapitres qui composeront le reste de l’ouvrage. La rédaction est faite à la hâte et l’ouvrage final en porte les marques. La lecture du manuscrit le confirme.
Au fil de ses recherches et de la rédaction de l’ouvrage, la pensée de Lazare va évoluer. Il abandonne ses premières positions (articles publiés en 1890) et nuance son propos : il présente les juifs comme des révolutionnaires et non plus comme des capitalistes. Cependant, il persiste à attribuer aux juifs la responsabilité de l’antisémitisme. Une autre idée demeure constante : aux yeux de Lazare, les juifs forment une nation et cette conscience nationale leur a permis de survivre à toutes les épreuves et à la dispersion. Leur conscience nationale, selon Lazare, empêchait les juifs de se dissoudre, de s’assimiler complètement dans les autres nations. Mais il considérait que l’antisémitisme était en voie de disparition devant l’expansion de l’intégration des juifs en France
L’ouvrage est publié en juin 1894 chez Léon Chailley. Rapidement, devant le succès remporté par l’ouvrage auprès des antisémites et avec la naissance de l’affaire Dreyfus, Lazare se distancie et repense ses positions. Le sort du capitaine Dreyfus et la flambée antisémite qui l’accompagne vont mettre un terme à l’optimisme de Lazare qui adoptera une position « anarcho-sioniste « , convaincu que face à l’antisémitisme et à l’impossibilité de s’assimiler totalement, les juifs devaient rechercher la voie nationale. Israélite français et anarchiste, Lazare refuse la religion et déclare que le préjugé religieux est le vrai fondement de l’antisémitisme (« Antisémitisme et antisémites », L’Echo de Paris, 31 décembre 1894). Lazare estime ne pas avoir assez approfondi l’étude des causes religieuses de l’antisémitisme (Réponse à M. Drumont », Le Voltaire, 24 mai 1896). De janvier à juin 1896, c’est en défenseur des juifs qu’il s’oppose à Édouard Drumont (texte Contre l’antisémitisme), et qu’il écrit « Je réécrirais aujourd’hui ce livre que j’aurais sans doute bien des choses à y changer, bien des choses à y ajouter ». Les deux adversaires iront jusqu’à se battre en duel en juin 1896.
A sa mort, Bernard Lazare donne la propriété de l’ouvrage à son épouse et exige qu’en cas de réédition figure en tête un avertissement « : « Une édition peut en être refaite, on mettrait cependant en tête que sur beaucoup de points mon opinion s’était modifiée. ». Mais ces repentirs ne figureront pas dans les trois rééditions de 1969, 1982 et 1985.